En 2009, Hexasim publiait le premier jeu de François Vander
Meulen : « Kawanakajima 1561 », simulant la bataille éponyme à
l’échelle tactique.
Paru 13 ans après « Samourai », 5ème
volume de la série Great Battles of History de Mark Herman et Richard Berg édité
par GMT, dont l’un des scénarios proposait cette bataille, « Kawanakajima
1561 » se distinguait de son prédécesseur par des choix graphiques, mais
surtout de conception radicalement différents.
« Samourai » reprenait en effet les mécanismes de
la série GBoH avec quelques adaptations pour « coller », d’aucuns,
mauvaises langues, diront même « plaquer » au thème.
A contrario, outre les graphismes magnifiques et beaucoup
plus immersifs, « Kawanakajima 1561 » utilisait des concepts
nouveaux, autant au niveau de la conduite de la bataille elle-même, que du
siège qui constituait, en quelque sorte, un jeu dans le jeu.
Sept ans plus tard, François Vander Meulen et Hexasim nous
proposent la suite tant attendue de cette série dénommée Sengoku Jidai :
« Tenkatôitsu », permettant de simuler les batailles de Yamazaki
(1582), Nagakute (1584) et Sekigahara (1600).
Honjin servant à la gestion des ordres |
La boîte contient quatre dés, quatre planches de pions prédécoupés à bord arrondis, une carte recto-verso pour les batailles de Yamazaki et Nagakute, une carte pour Yamazaki, un livret de jeu, lui aussi magnifique et très didactique, une aide de jeu spécifique représentant la forteresse de Yamazaki, une aide de jeu spécifique pour gérer les trahisons propres à Sekigahara, deux aides de jeu commune aux trois batailles, les honji, et des aides de jeu reproductibles pour noter les plans de bataille choisis.
L’ensemble est splendide et donne envie de jouer
immédiatement !
Mais avant de se livrer à une analyse plus complète qui fera
l’objet d’un article à venir, j’ai eu envie de donner la parole à l’auteur pour
qu’il nous en dise un peu plus sur son jeu.
1/ Bonjour François, peux-tu tout d'abord te présenter?
FVM : J’ai
commencé à m’intéresser aux jeux grâce à la revue Jeux et Stratégies. Il me
semble que deux aspects des jeux m’attirent particulièrement : la
modélisation/simulation et la narration. Ludiquement, mes jeunes années ont
donc été dominées par les jeux de rôles et les wargames.
Mon tout premier
wargame en boite a été Yorktown d’International Team mais, au delà de la
naissance de ma passion pour le wargame, c’est anecdotique. Les wargames
m’ayant vraiment marqués sont dans l’ordre chronologique de mes découvertes, la
série GBoH, puis ASL et enfin la CWBS.
Après une pause de
plusieurs années après la fin de mes études, j’ai repris contact avec les
wargames il y a une quinzaine d’année. Au moment de cette reprise, je n’avais
pas vraiment d’adversaire : je jouais peu et en conséquence j’ai commencé
à imaginer des systèmes de jeu. Comme un moyen de m’adonner au wargame, sans
pouvoir y jouer. Kawanakajima a été produit à cette période.
2/Tenkatôitsu est ton second jeu sur le thème du Japon à l'ère Sengoku Jidai, peux-tu expliquer ce qui t'inspire dans cette période de l'histoire nippone?
FVM : J’aime l’histoire et la culture
japonaise d’une façon générale. La période Sengoku offre une mine d’or pour les
wargames, largement exploitée au Japon, mais très peu en occident.
Le sujet exotique a facilité mon passage à
l’acte en tant que créateur de jeu. Il était plus simple pour moi de construire
un système sur un thème peu exploré. Je me sentais moins contraint par
l’existant.
3/Peux-tu présenter tes choix de conception pour ce jeu et en quoi diffèrent-ils de ceux parus sur le thème à la même échelle, je pense notamment à Samouraï de GMT? Par exemple pourquoi as-tu décidé de présenter des unités mixant à la fois les cavaliers et les fantassins?
FVM : En créant
Sengoku Jidai, je voulais faire un jeu présentant les batailles emblématiques
de l’époque Sengoku en insistant sur le narratif et l’ambiance. Je souhaitais un
jeu rythmé qui présentait les spécificités des armées féodales japonaises. Mon
intention était également de donner un rôle au joueur : celui du
Sô-Taishô (le général en chef).
De toutes ces envies,
il est sorti une description de l’armée en très petites formations (les Clans)
formées de un à quatre pions (unités) activés un à un, par un tirage de jeton
d’activation. Les
activations courtes rythment les parties.
Bataille de Okehazama, Samourai de GMT |
Et le système d’ordre
donné à chaque Clan (sous forme d’un marqueur placé sur une aide de jeu) donne
sa place au joueur : il choisit à quel Clan il envoie de nouvelles
instructions. Et tant que de nouvelles instructions n’ont pas été reçues, les
Clans agissent suivant leurs anciens ordres.
Marier les
activations par tirages de jetons avec la continuité des actions des Clans m’a
amené à introduire les jetons « obligatoires » qui, contrairement aux
autres jetons, interviennent indépendamment de la volonté des joueurs.
Bataille de Nagakute de Tenkatôitsu. |
Les unités
représentent aussi bien des tireurs à l’arquebuse ou à l’arc, que des lanciers,
ou des cavaliers car ces différentes armes pouvaient agir ensemble même à
petite échelle. Quand un seigneur réunissait une armée, les Clans devaient
fournir une certaine quantité de soldats en fonction de la richesse de leur
domaine. Ces hommes agissaient le plus souvent ensemble sous la direction de
leur seigneur. Sengoku Jidai est à une trop grande échelle pour faire
apparaitre de petits contingents avec des armes différentiées. Je ne le savais
pas encore au moment de faire Kawanakajima, mais j’ai depuis pu constater que
les jeux japonais sur cette période procèdent fréquemment de cette façon.
4/Les sièges sont un un jeu dans le jeu tout en restant fluides et intéressants, ce qui est une gageure. Peux-tu brièvement en présenter les mécanismes et expliquer d'où viennent-ils?
FVM : J’ai pu constater que pour un
nombre non négligeables de batailles japonaises de cette époque, un château
était impliqué (bataille pour briser un siège par exemple …). C’est le cas pour
deux batailles sur les 4 de la série Sengoku Jidai (Kawanakajima et Yamazaki).
Je voulais donc
inclure cela dans le système. C’est parti simplement d’une jauge qui se
présentait sous forme d’une échelle allant de 0 à 100% de la forteresse
capturée par l’assiégeant. Les joueurs choisissaient la portion de leur force
qu’ils consacraient à faire évoluer cette jauge (ou à bloquer son
évolution
pour le défenseur) et qui en conséquence n’était plus disponible pour la
bataille proprement dite. Le sort (les dés) dictait en fonction des forces en
présence, la progression d’un marqueur sur cette jauge. Cela fonctionnait, mais
n’était pas forcément excitant et surtout avait tendance à être répétitif d’une
partie à l’autre. J’ai alors complexifié la jauge, en lui donnant la forme du château
(ce qui permet de dessiner les plans de ces forteresses qui sont
magnifiques) : les trajets pour conquérir le cœur de la forteresse
deviennent multiples ne sont pas tous égaux et le narratif de l’assaut s’en
trouve enrichi. Quelques options d’attaque (assaut, tir simple, sacrifice pour
ne pas abandonner le terrain, …) qui dépendent de la topographie et la règle
avait son attrait propre. Le plus compliqué fut ensuite de rédiger les règles
de gestion des forces entrantes / sortantes etc …
La carte dédiée au volet siège de Yamazaki |
5/Pour en venir à Tenkatôitsu, tout d'abord que signifier le titre? Pourquoi as-tu choisi ces batailles?
Carte de Yamazaki |
FVM : Tenkatôitsu
(天下統一)
c’est l’unification du Japon. C’est le nom de la fin de la période Sengoku. Les
seigneurs locaux se sont battus jusqu’à agrandir leur territoire à l’échelle du
Japon entier. Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi puis Tokugawa Ieyasu (les trois
unificateurs) vont clore la période en unifiant l’ensemble du Japon sous leur
domination. Les batailles du jeu sont des moments importants de cette période :
Juste après que Oda Nobunaga n’ait été trahi (et forcé à se tuer) Hideyoshi
défait son assassin à Yamazaki.
Hideyoshi règne alors sur un large territoire il défait ses rivaux, sauf
Tokugawa Ieyasu car la bataille de Nagakute
installe un statu quo entre les deux hommes. Après la mort d’Hideyoshi,
Tokugawa terminera l’unification sous sa domination en éliminant ses
adversaires à Sekigahara.
Tous les détails de ces batailles et des biographies de leurs acteurs seront
très bientôt publié par Hexasim dans un livret historique écrit par Bertrand
Dossmann.
Les trois batailles
présentent des situations tactiques et dramatiques différentes qui justifient
pour chacune leur ajout à la série.
Carte de Nagatuke |
Nagakute est une petite bataille, sans règles
spéciales qui permet notamment d‘entrer dans le système. C’est aussi une
situation très ouverte qui permet aux deux joueurs de tenter plusieurs
tactiques. Elle est également intéressante dramatiquement : une arrière
garde isolée, attaquée par surprise à l’aube. Le reste de l’armée qui fait face
à un petit château et doit gérer sa capture et retourner sauver son arrière
garde …
Yamazaki permet deux jeux assez différents :
·
les deux armées commencent déployées, face à
face. La plus faible peut compter sur une forteresse sur ses arrières.
·
L’autre scénario commence la nuit d’avant la
bataille et permet au deux joueurs de déployer eux même leurs armées dans la
nuit. Le combat est alors étendu au sommet voisin, dont la possession donne une
vue sur l’ensemble du champ de bataille, donnant un avantage tactique
important.
Carte de Sekigahara |
Sekigahara est la plus grosse bataille du système. Elle
se caractérise évidemment par les trahisons dont ont souffert l’armée de
l’Ouest. Dans Tenkatôitsu, les trahisons ne sont pas certaines, mais dépendent
des cadeaux (en PV) que concède Tokugawa. Plus il tente de provoquer de
trahison, plus il cède de points de victoire. Le joueur de Tokugawa peut donc
remporter la victoire sur la bataille, mais ne pas gagner la partie,
si les contres parties qu’il a concédées sont trop importantes.
6/Quelles sont les évolutions du système depuis Kawanakajima et quelle en est la justification?
FVM : Kawanakajima
a souvent été accueilli comme un jeu aux règles obscures. Alors que je voulais
un jeu abordable, simple et dynamique, a parfois rebuté par manque de clarté.
Les évolutions sont parties de là. Les règles ont été réécrites, avec une autre
organisation, un autre vocabulaire et plus d’exemple, et les aides de jeu ont
été complétées. Tenkatôitsu doit énormément à Laurent Closier et à Bertrand
Dossmann pour tout cela. J’espère que le résultat de ce travail permettra aux
joueurs de mieux entrer dans le jeu. A quelques endroits, les règles ont été
légèrement simplifiées ou en tout cas modifiées pour en améliorer l’ergonomie.
Toutefois, les armées
de l’époque de Tenkatôitsu étaient mieux équipées en arquebuses que celles de
Kawanakajima. Le grand nombre de tireurs (point de tir sur les unités) m’a
contraint à modifier la table des combats en ajoutant des résultats
d’attrition. J’avais mal anticipé leur impact sur les statistiques des
résultats des combats.
Aide de jeu |
7/Peux-tu donner quelques conseils de jeu pour ces trois batailles?
FVM : Non. Je m’en garderai bien. Le
plaisir vient de la recherche de solutions. Je crois que le jeu est très
ouvert. Les plans de batailles permettent beaucoup de variations. Même en solo.
8/As-tu prévu une suite?
FVM : Je n’ai pas de bataille
précisément en tête. Mais j’espère bien qu’il y aura une suite en effet. Cela
va dépendre de l’accueil de Tenkatôitsu en fait. La période est très riche. Je
n’ai pas réussi à faire Shizugatake (qui devait initialement faire partie de
Tenkatôitsu) mais ce serait une bonne bataille. J’aimerai en tout cas que
chaque bataille ajoutée apporte quelque chose à l’ensemble et éviter la simple
collection de situation se répétant largement.
Merci François !
Le jeu est sur ma table, et je vous livrerai donc
prochainement mon analyse, sachant que des comptes rendus de parties sont déjà
disponibles sur STRATEGIKON et BGG.
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