Il n’aura pas échappé aux lecteurs assidus
des fora de discussion belliludiques que la société d’édition française Hexasim
allait sortir un nouveau jeu sur le thème des guerres de Religion
françaises : Par le Feu, le Fer et la Foi.
Celui-ci propose de jouer cinq batailles à l’échelle grand tactique : Saint Denis (10 novembre 1567), Jarnac (13 mars 1569), La Roche l’Abeille (25 juin 1569), Coutras (20 octobre 1587) et Arques (21 septembre 1589).
C’est une période peu simulée qui offre
pourtant un intérêt certain tant sur le plan historique que ludique.
En effet, comme le démontre brillamment
Fréderic Chauviré dans son ouvrage sur la Cavalerie française[1],
les tactiques de cavalerie doivent s’adapter à l’utilisation croissante du feu
par l’infanterie. Le regroupement des unités en escadrons d’abord massifs avec
les reîtres puis amincis par Henri IV, devient progressivement la norme. La
lance cède devant le pistolet et on tente de coordonner les différentes unités
de cavalerie entre elles. Mais il n’y pas encore de véritable articulation
tactique interarmes, ni de profondeur dans le dispositif qui permette de
profiter de l’avantage sur l’adversaire ou de combler les pertes dans les
rangs. Nous sommes encore aux balbutiements de la tactique d’ailes qui va
connaître son essor au siècle suivant.
Comment le jeu tente de rendre cette
problématique ?
Le site de l’éditeur donne quelques idées du
rendu graphique et des mécanismes de jeu, notamment le choix de zones pour réguler
le mouvement plutôt que des hexagones, mais également des mécanismes assez
originaux qui ne sont pas ceux que l’on retrouve dans les jeux à zones
classiques.
Pour en savoir un peu plus, j’ai décidé
d’interviewer l’auteur, Philippe Hardy.
1/ Bonjour Philippe, peux-tu te
présenter aux lecteurs de ce blog?
PH : J’ai 47 ans, marié et 3
enfants, de formation école de management. Ma dernière fonction était directeur
marketing. Je crée actuellement ma nouvelle activité pour devenir consultant en
stratégie de marché et innovation. Je suis tombé dans la marmite des wargames à
15 ans avec Squad Leader. Mon 1er jeu acheté était les « Les
dernières batailles de Napoléon » de Kevin Zucker chez SPI. Je suis un
passionné d’histoire et de stratégie militaire de la fin du XVème Siècle
jusqu’à la 2e Guerre Mondiale. Mes périodes de
prédilections sont la Renaissance et le début de la guerre
« industrielle » ; des périodes charnières qui ont transformé
l’art de la guerre…et la société.
On ne me connaît pas sur les tables
des tournois et peu sur les forums; je suis plus concepteur /
collectionneur que joueur et mon autre passion – la course – me prend du temps.
J’ai toutefois toujours chez moi une carte ouverte avec des pions placés…Ce que
j’aime avant tout, après la lecture d’une bonne bibliographie, c’est concevoir
un jeu en « mettant en équation l’Histoire ».
2/Tu es l'auteur du jeu "Par
le Feu, le Fer et la Foi" qui va être édité dans quelques jours par la
société Hexasim. Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as choisi de traiter des
Guerres de religion à l'échelle grand tactique?
P.H. : J’aime l’originalité et
jouer des périodes peu proposées par les concepteurs / éditeurs. Quand le
projet m’est venu à l’esprit en 2008, il n’y avait eu aucun jeu sur cette
période qui est pourtant tellement riche militairement…Pour ce qui est de
l’échelle grand tactique, j’ai toujours affectionné les jeux à cette
échelle de la série Eagles of The Empire ou encore les jeux sur la guerre
civile américaine de Clash of Arms (Autumn of Glory, etc.) ; cela permet
d’avoir une vue d’ensemble plus homogène, moins découpée, du champ de bataille.
3/Qu'est-ce qui t'as amené à
choisir ces batailles?
P.H. : L’originalité c’est certain,
mais aussi l’envie de faire des recherches bibliographiques et d’aller sur le
terrain… elles se sont toutes déroulées sur le territoire national, d’où leur
intérêt pour un passionné d’histoire de France. Tout a commencé par un été en
Limousin où je suis allé sur le site de la bataille de La Roche l’Abeille, puis
à la bibliothèque municipale de Limoges, etc. Pour chacune de ces batailles,
j’ai dû faire beaucoup de recherches, réunir une nombreuse bibliographie avec
des ouvrages rares. Le travail d’enquête nécessaire pour identifier les lieux,
les troupes, les positions est excitant et passionnant à la fois.
4/Il existe déjà plusieurs jeux qui
traitent de cette période à la même échelle, en quoi P3F se distingue-t-il des
autres jeux?
PH. : A ma connaissance il
n’existe que « Paris vaut bien une messe » paru dans VV et une suite
à venir. « Crossbows and Cannon» de
3W avait annoncé un opus qui aborderait cette période – avec Jarnac et
Coutras - mais cela a fait long feu avec
l’arrêt de la marque.
Les deux points importants dans une
simulation historique à cette échelle sont le mouvement et le combat, je
n’invente rien. Un mouvement sur un champ de bataille est compliqué et
risqué ; le rapport nombre de PM dépensés et désorganisation permet de traduire
ces difficultés. Pour ce qui est des combats, les ratios disproportionnés sont
irréalistes tant il est difficile d’amener « tout son monde » au
point de contact en même temps. Le système de combats traduit la nécessité de
soutien à apporter et d’exploiter les moindres avantages tactiques offerts par
la situation de combat.
5/Tu as choisi d'utiliser des zones
plutôt que des hexagones pour simuler l'évolution des troupes sur le champ de
bataille. Peux-tu nous expliquer pourquoi?
PH : Je préfère me mettre dans
les bottes d’un colonel qui commande son régiment que dans celles d’un sergent
pour « former les rangs » et faire respecter l’alignement.
J’ai abordé des jeux d’époques
assez proches pour lesquels on a une foison de pions et de marqueurs avec des
règles d’orientation fastidieuses à mettre en place. Je ne souhaite pas aborder
les jeux en passant trop de temps à orienter mes pions sur un face ou un angle
d’un hexagone, avec un effet esthétique improbable…je préfère me consacrer aux
« mouvements d’ensemble » qui eux sont déterminants pour gagner la
partie.
6/La fin du XVIème siècle voit une
évolution des tactiques de combat avec l'impact croissant de l'arme à feu.
Cette évolution amène notamment une remise en cause de la doctrine d'emploi de
la cavalerie et à la réorganisation des tactiques interarmes. Les charges en
haies à la lance cohabitent avec les caracoles des Reîtres. Mais il n'y a
toujours qu'une seule ligne, sans véritable articulation des corps, ni création
d'une profondeur tactique permettant de profiter de l'effet de la
désorganisation de l'adversaire ou de combler les vides laissés dans sa propre
ligne. Comment P3F simule ces
particularités?
PH : L’art de la guerre de
cette période voit naître le début du soutien interarmes ; c’est ce que je
propose au travers de la table des combats et de ses modificateurs. Une
combinaison d’unités dont les armes principales sont le fer (choc) et le feu
(tir) bénéficiera toujours d’un bonus au combat. Le manque de profondeur est
traduit par l’unité principale qui attaque ou reçoit l’attaque. En effet, une
seule unité est exposée lors d’un combat, toutes les autres étant en soutien.
Par soutien, il est très important d’entendre soutien actif mais aussi passif.
Je m’explique : la seule présence de cavalerie lourde à proximité de
piétons va obliger ceux-ci à resserrer les rangs, les rendant plus vulnérables
au feu.
7/Dans le cadre des règles
avancées, tu proposes la possibilité d'implémenter des ordres aux groupes
tactiques que sont les colonnes. Quel est l'impact réel de ces ordres sur le
jeu? Est-ce qu'ils permettent de recréer la rigidité du plan de bataille et la
quasi impossibilité de le corriger, compte tenu de l'absence de moyens de
communication efficaces à l'époque?
PH : Oui, c’est bien le but.
Rigidité, car à cette époque, une fois la bataille engagée, la communication
entre les différents commandants de colonnes est très aléatoire. D’une part
parce qu’ils sont engagés physiquement et d’autre part parce que le chaos
règne ; bruit assourdissant, visibilité gênée par la fumée, quand ce ne
sont pas les commandants eux-mêmes qui n’appliquent pas l’ordre escompté. Ce
qu’il faut bien avoir à l’esprit c’est qu’une grande hétérogénéité de troupes
est présente et il est difficile de coordonner tout ce monde ; mercenaires,
paysans armés, miliciens, nobles enrégimentés et vieux régiments au service du
roi.
8/Pour finir cette interview, quels
conseils tactiques donnerais-tu aux joueurs pour chacune des batailles?
PH : Comme cinq batailles sont
proposées, cela fait dix conseils tactiques…qui dépendent des objectifs de
chaque bataille. Ce serait fastidieux et présomptueux. Par contre je peux
donner quelques conseils généraux. Les Huguenots sont en nette infériorité aux
batailles de Saint-Denis et Jarnac ils doivent ralentir la progression des
Catholiques, pour ce faire je recommande l’utilisation de la règle d’Enfants
Perdus pour étendre leur front et gêner les mouvements adverses. Les batailles
de La Roche l’Abeille et Coutras sont équilibrées, l’une offrant plus de champ
pour les manœuvres. Enfin, Arques, où les Royalistes sont en infériorité mais
solidement implantés ; il suffit de laisser venir les Ligueurs se perdre
sur les défenses. D’une façon générale, pour obtenir la maximum de soutien, il
faut toujours combiner le fer et le feu.
Et bien merci Philippe !
Le jeu devrait « débarquer » dans
nos boîtes-aux-lettres quelques jours après le 6 juin.
Je reviendrai naturellement vers vous pour
vous donner mes premières impressions.
Et hop ! Camarade !
RépondreSupprimerhttp://www.bir-hacheim.com/de-lart-de-gouverner-les-gens-de-guerre-nouveau-blog/
J'adore ton blog!
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