jeudi 31 août 2017

La guerre de Gradisca, vous connaissez?

L'illustration de la boîte
Et bien pas moi! C'est pourtant le thème choisi par Nicola Contardi, de la société d'édition italienne Europa Simulazioni pour son prochain jeu à paraître: "La guerra di Gradisca (1615-1617)".

En furetant sur la toile, j'ai pu trouver le résumé d'une thèse sur ce conflit qui nous en apprend un peu plus:

"Les relations entre la république de Venise et l'archiduc Ferdinand de Styrie se dégradèrent en 1615, en raison de contentieux frontaliers et économiques, mais aussi d'un groupe de pirates, les Uscoques. Basés à Senj sur la côte croate, ils servaient de fait les intérêts de l'archiduc Ferdinand en attaquant les bateaux vénitiens dans l'adriatique. La guerre éclata en décembre 1615, quand Venise envahit une partie du Frioul autrichien et fit par deux fois le siège de Gradiska. Chacun s'efforça de trouver des alliés, grâce aux systèmes d'alliance traditionnels : l’Espagne en faveur de Ferdinand en fournissant argent et troupes, le vice-roi de Naples, le duc d’Osuna par une campagne navale anti-vénitienne dans l'adriatique et le duc de Savoie en réactivant la guerre du Montferrat. Cependant, l’imminence de la succession impériale, l'enlisement des armées, l'omniprésence de l’Espagne et le renouveau de la France facilitèrent les négociations de paix qui scellèrent lors des traités de Paris et de Madrid (septembre 1617), le statu quo ante sur la frontière et l'échec de Venise, même si les Uscoques disparaissaient, sacrifiés par le futur empereur Ferdinand II. Cette guerre secoua donc l’Europe, sorte de répétition générale avant la guerre de Trente Ans : les traités n'étaient pas encore exécutés en mai 1618 lors de la défenestration de Prague."

Stitch with Uskok-ships chasing a large ship.Museum of Fortress Nehaj in Senj, Croatia.
[Résumé de la thèse de doctorat en histoire soutenue en 2000, à Paris 4, par Thierry Charlier sous le titre "Les relations entre la République de Venise et les Habsourg: la guerre des Uscoques (1615-1618)].

Nicola Contardi présente son jeu comme étant basé sur des recherches historiques précises et reposant sur des mécanismes "entièrement nouveaux", "pensés pour intéresser autant les nouveaux joueurs que les vétérans du wargame". Dont acte! A ce stade, tout ce qu'on peut en dire est qu'il est à zones, "assisté" par cartes (et pas piloté, si j'ai bien compris), avec peu de pions. Au vu de l'absence d'unités maritimes sur la planche de pions on peut en déduire que ce volet du conflit sera géré justement par les cartes.
http://italianwars.net/GRADISCA/GradiscaMappaSmall.jpg
La version test de la carte


http://italianwars.net/GRADISCA/GradiscaCountersSmall.jpg
La version test de l'unique planche de pions


Il semble également qu'il y ait une activation aléatoire des unités, peut-être par des marqueurs en vue "de donner une dose d'incertitude et de rejouabilité de la campagne".

Nous en serons plus prochainement dès que les règles seront en ligne. Pour l'instant le jeu est en pré-commande ici.

Autre information donnée par l'auteur sur CSW, la suite de "All is Lost, Save Honor" est dans les tuyaux!

dimanche 29 janvier 2017

Paroles d’auteur : Tenkatôitsu





En 2009, Hexasim publiait le premier jeu de François Vander Meulen : « Kawanakajima 1561 », simulant la bataille éponyme à l’échelle tactique. 

Paru 13 ans après « Samourai », 5ème volume de la série Great Battles of History de Mark Herman et Richard Berg édité par GMT, dont l’un des scénarios proposait cette bataille, « Kawanakajima 1561 » se distinguait de son prédécesseur par des choix graphiques, mais surtout de conception radicalement différents.


« Samourai » reprenait en effet les mécanismes de la série GBoH avec quelques adaptations pour « coller », d’aucuns, mauvaises langues, diront même « plaquer » au thème. 


A contrario, outre les graphismes magnifiques et beaucoup plus immersifs, « Kawanakajima 1561 » utilisait des concepts nouveaux, autant au niveau de la conduite de la bataille elle-même, que du siège qui constituait, en quelque sorte, un jeu dans le jeu.


Sept ans plus tard, François Vander Meulen et Hexasim nous proposent la suite tant attendue de cette série dénommée Sengoku Jidai : « Tenkatôitsu », permettant de simuler les batailles de Yamazaki (1582), Nagakute (1584) et Sekigahara (1600).


Honjin servant à la gestion des ordres


La boîte contient quatre dés, quatre planches de pions prédécoupés à bord arrondis, une carte recto-verso pour les batailles de Yamazaki et Nagakute, une carte pour Yamazaki, un livret de jeu, lui aussi magnifique et très didactique, une aide de jeu spécifique représentant la forteresse de Yamazaki, une aide de jeu spécifique pour gérer les trahisons propres à Sekigahara, deux aides de jeu commune aux trois batailles, les honji, et des aides de jeu reproductibles pour noter les plans de bataille choisis.


L’ensemble est splendide et donne envie de jouer immédiatement !


Mais avant de se livrer à une analyse plus complète qui fera l’objet d’un article à venir, j’ai eu envie de donner la parole à l’auteur pour qu’il nous en dise un peu plus sur son jeu.



1/ Bonjour François, peux-tu tout d'abord te présenter?


FVM : J’ai commencé à m’intéresser aux jeux grâce à la revue Jeux et Stratégies. Il me semble que deux aspects des jeux m’attirent particulièrement : la modélisation/simulation et la narration. Ludiquement, mes jeunes années ont donc été dominées par les jeux de rôles et les wargames.

Mon tout premier wargame en boite a été Yorktown d’International Team mais, au delà de la naissance de ma passion pour le wargame, c’est anecdotique. Les wargames m’ayant vraiment marqués sont dans l’ordre chronologique de mes découvertes, la série GBoH, puis ASL et enfin la CWBS. 
 Après une pause de plusieurs années après la fin de mes études, j’ai repris contact avec les wargames il y a une quinzaine d’année. Au moment de cette reprise, je n’avais pas vraiment d’adversaire : je jouais peu et en conséquence j’ai commencé à imaginer des systèmes de jeu. Comme un moyen de m’adonner au wargame, sans pouvoir y jouer. Kawanakajima a été produit à cette période.


2/Tenkatôitsu est ton second jeu sur le thème du Japon à l'ère Sengoku Jidai, peux-tu expliquer ce qui t'inspire dans cette période de l'histoire nippone?

FVM : J’aime l’histoire et la culture japonaise d’une façon générale. La période Sengoku offre une mine d’or pour les wargames, largement exploitée au Japon, mais très peu en occident.

Le sujet exotique a facilité mon passage à l’acte en tant que créateur de jeu. Il était plus simple pour moi de construire un système sur un thème peu exploré. Je me sentais moins contraint par l’existant. 


3/Peux-tu présenter tes choix de conception pour ce jeu et en quoi diffèrent-ils de ceux parus sur le thème à la même échelle, je pense notamment à Samouraï de GMT? Par exemple pourquoi as-tu décidé de présenter des unités mixant à la fois les cavaliers et les fantassins?


FVM : En créant Sengoku Jidai, je voulais faire un jeu présentant les batailles emblématiques de l’époque Sengoku en insistant sur le narratif et l’ambiance. Je souhaitais un jeu rythmé qui présentait les spécificités des armées féodales japonaises. Mon intention était également de donner un rôle au joueur : celui du Sô-Taishô (le général en chef).

De toutes ces envies, il est sorti une description de l’armée en très petites formations (les Clans) formées de un à quatre pions (unités) activés un à un, par un tirage de jeton d’activation. Les
Bataille de Okehazama, Samourai de GMT
activations courtes rythment les parties.

Et le système d’ordre donné à chaque Clan (sous forme d’un marqueur placé sur une aide de jeu) donne sa place au joueur : il choisit à quel Clan il envoie de nouvelles instructions. Et tant que de nouvelles instructions n’ont pas été reçues, les Clans agissent suivant leurs anciens ordres.

Marier les activations par tirages de jetons avec la continuité des actions des Clans m’a amené à introduire les jetons « obligatoires » qui, contrairement aux autres jetons, interviennent indépendamment de la volonté des joueurs.

Bataille de Nagakute de Tenkatôitsu.
Les unités représentent aussi bien des tireurs à l’arquebuse ou à l’arc, que des lanciers, ou des cavaliers car ces différentes armes pouvaient agir ensemble même à petite échelle. Quand un seigneur réunissait une armée, les Clans devaient fournir une certaine quantité de soldats en fonction de la richesse de leur domaine. Ces hommes agissaient le plus souvent ensemble sous la direction de leur seigneur. Sengoku Jidai est à une trop grande échelle pour faire apparaitre de petits contingents avec des armes différentiées. Je ne le savais pas encore au moment de faire Kawanakajima, mais j’ai depuis pu constater que les jeux japonais sur cette période procèdent fréquemment de cette façon. 
   

4/Les sièges sont un un jeu dans le jeu tout en restant fluides et intéressants, ce qui est une gageure. Peux-tu brièvement en présenter les mécanismes et expliquer d'où viennent-ils?


FVM : J’ai pu constater que pour un nombre non négligeables de batailles japonaises de cette époque, un château était impliqué (bataille pour briser un siège par exemple …). C’est le cas pour deux batailles sur les 4 de la série Sengoku Jidai (Kawanakajima et Yamazaki).

Je voulais donc inclure cela dans le système. C’est parti simplement d’une jauge qui se présentait sous forme d’une échelle allant de 0 à 100% de la forteresse capturée par l’assiégeant. Les joueurs choisissaient la portion de leur force qu’ils consacraient à faire évoluer cette jauge (ou à bloquer son
La carte dédiée au volet siège de Yamazaki
évolution pour le défenseur) et qui en conséquence n’était plus disponible pour la bataille proprement dite. Le sort (les dés) dictait en fonction des forces en présence, la progression d’un marqueur sur cette jauge. Cela fonctionnait, mais n’était pas forcément excitant et surtout avait tendance à être répétitif d’une partie à l’autre. J’ai alors complexifié la jauge, en lui donnant la forme du château (ce qui permet de dessiner les plans de ces forteresses qui sont magnifiques) : les trajets pour conquérir le cœur de la forteresse deviennent multiples ne sont pas tous égaux et le narratif de l’assaut s’en trouve enrichi. Quelques options d’attaque (assaut, tir simple, sacrifice pour ne pas abandonner le terrain, …) qui dépendent de la topographie et la règle avait son attrait propre. Le plus compliqué fut ensuite de rédiger les règles de gestion des forces entrantes / sortantes etc … 


5/Pour en venir à Tenkatôitsu, tout d'abord que signifier le titre? Pourquoi as-tu choisi ces batailles?


Carte de Yamazaki
FVM : Tenkatôitsu (天下統一) c’est l’unification du Japon. C’est le nom de la fin de la période Sengoku. Les seigneurs locaux se sont battus jusqu’à agrandir leur territoire à l’échelle du Japon entier. Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi puis Tokugawa Ieyasu (les trois unificateurs) vont clore la période en unifiant l’ensemble du Japon sous leur domination. Les batailles du jeu sont des moments importants de cette période : Juste après que Oda Nobunaga n’ait été trahi (et forcé à se tuer) Hideyoshi défait son assassin à Yamazaki. Hideyoshi règne alors sur un large territoire il défait ses rivaux, sauf Tokugawa Ieyasu car la bataille de Nagakute installe un statu quo entre les deux hommes. Après la mort d’Hideyoshi, Tokugawa terminera l’unification sous sa domination en éliminant ses adversaires à Sekigahara. Tous les détails de ces batailles et des biographies de leurs acteurs seront très bientôt publié par Hexasim dans un livret historique écrit par Bertrand Dossmann.

Les trois batailles présentent des situations tactiques et dramatiques différentes qui justifient pour chacune leur ajout à la série.

Carte de Nagatuke
Nagakute est une petite bataille, sans règles spéciales qui permet notamment d‘entrer dans le système. C’est aussi une situation très ouverte qui permet aux deux joueurs de tenter plusieurs tactiques. Elle est également intéressante dramatiquement : une arrière garde isolée, attaquée par surprise à l’aube. Le reste de l’armée qui fait face à un petit château et doit gérer sa capture et retourner sauver son arrière garde …

Yamazaki permet deux jeux assez différents :

·        les deux armées commencent déployées, face à face. La plus faible peut compter sur une forteresse sur ses arrières.

·        L’autre scénario commence la nuit d’avant la bataille et permet au deux joueurs de déployer eux même leurs armées dans la nuit. Le combat est alors étendu au sommet voisin, dont la possession donne une vue sur l’ensemble du champ de bataille, donnant un avantage tactique important.

Carte de Sekigahara
Sekigahara est la plus grosse bataille du système. Elle se caractérise évidemment par les trahisons dont ont souffert l’armée de l’Ouest. Dans Tenkatôitsu, les trahisons ne sont pas certaines, mais dépendent des cadeaux (en PV) que concède Tokugawa. Plus il tente de provoquer de trahison, plus il cède de points de victoire. Le joueur de Tokugawa peut donc remporter la victoire sur la bataille, mais ne pas gagner la partie, si les contres parties qu’il a concédées sont trop importantes.






6/Quelles sont les évolutions du système depuis Kawanakajima et quelle en est la justification? 


FVM : Kawanakajima a souvent été accueilli comme un jeu aux règles obscures. Alors que je voulais un jeu abordable, simple et dynamique, a parfois rebuté par manque de clarté. Les évolutions sont parties de là. Les règles ont été réécrites, avec une autre organisation, un autre vocabulaire et plus d’exemple, et les aides de jeu ont été complétées. Tenkatôitsu doit énormément à Laurent Closier et à Bertrand Dossmann pour tout cela. J’espère que le résultat de ce travail permettra aux joueurs de mieux entrer dans le jeu. A quelques endroits, les règles ont été légèrement simplifiées ou en tout cas modifiées pour en améliorer l’ergonomie.

Toutefois, les armées de l’époque de Tenkatôitsu étaient mieux équipées en arquebuses que celles de Kawanakajima. Le grand nombre de tireurs (point de tir sur les unités) m’a contraint à modifier la table des combats en ajoutant des résultats d’attrition. J’avais mal anticipé leur impact sur les statistiques des résultats des combats. 


Aide de jeu
7/Peux-tu donner quelques conseils de jeu pour ces trois batailles?


FVM : Non. Je m’en garderai bien. Le plaisir vient de la recherche de solutions. Je crois que le jeu est très ouvert. Les plans de batailles permettent beaucoup de variations. Même en solo.


8/As-tu prévu une suite?


FVM : Je n’ai pas de bataille précisément en tête. Mais j’espère bien qu’il y aura une suite en effet. Cela va dépendre de l’accueil de Tenkatôitsu en fait. La période est très riche. Je n’ai pas réussi à faire Shizugatake (qui devait initialement faire partie de Tenkatôitsu) mais ce serait une bonne bataille. J’aimerai en tout cas que chaque bataille ajoutée apporte quelque chose à l’ensemble et éviter la simple collection de situation se répétant largement. 


Merci François !


Le jeu est sur ma table, et je vous livrerai donc prochainement mon analyse, sachant que des comptes rendus de parties sont déjà disponibles sur STRATEGIKON et BGG.